Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2016 : vers une mise à mort de la protection sociale universelle ?

Alors qu’on fête les 70 ans de la Sécurité sociale, le gouvernement porte, via l’article 21 du PLFSS 2016, un nouveau coup de canif au caractère universel de notre modèle de protection sociale. Si la Mutualité est plutôt favorable à une «complémentaire santé pour tous» elle en dénonce toutefois la multiplication. En créant un dispositif d’appel d’offres spécifiquement réservé aux personnes de plus de 65 ans, le gouvernement amplifie le principe de segmentation de la protection sociale déjà mis à mal par la généralisation de la complémentaire santé en entreprise (article n° de l’ANI) qui oppose salariés et non salariés.

Jean-Paul Benoit vous exposera les conséquences de tels dispositifs et les propositions de la Mutualité Française pour tendre vers un système de santé plus équitable. Il répondra également à vos questions sur ces sujets.

L’accès à la complémentaire santé devient un véritable casse-tête !

Aujourd’hui pour se soigner en France, une complémentaire santé est indispensable*. C’est un fait. Là où ça se complique, c’est pour obtenir cette couverture santé.

* En effet l’Assurance maladie ne rembourse que 51 % des frais de soins courants, 33 % des soins dentaires et 5 % des dépenses optiques[1]. Résultat : en l’absence de complémentaire santé, un patient renonce deux fois plus à des soins. La complémentaire santé est donc indispensable pour accéder à des soins de qualité.

8 dispositifs de complémentaire santé et bientôt 10 ?

ACS, CMU-C, contrats individuels, contrats collectifs, sortie de contrats collectifs, contrats Madelin (avantages fiscaux pour les couvertures santé et prévoyance des travailleurs non salariés), labellisation et référencement (accords de branches)… Lors de sa présentation du Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale (PLFSS 2016), le gouvernement a annoncé qu’il souhaiterait ajouter 2 autres dispositifs au mille-feuille existant :

  • un chèque santé pour les travailleurs précaires (non éligibles à la généralisation de la complémentaire santé en entreprises)
  • un appel d’offre pour les contrats de santé seniors dont le critère principal de ce dernier sera le prix.
  • Sans compter, une évolution de la loi Evin envisageant un prolongement plus important de la couverture santé des personnes lors de leur départ à la retraite.

Accès à la complémentaire santé : pourquoi nous ne sommes pas tous égaux !

Aujourd’hui, au travers des contrats collectifs d’entreprise, les salariés et leur famille bénéficient, en plus de la participation employeur, d’aides fiscales et sociales. Ce n’est pas le cas des chômeurs de longue durée, des jeunes, des précaires et des retraités.

Pour les retraités anciennement salariés, la perte du co-financement de leurs cotisations par leur employeur et des aides fiscales et sociales* dont bénéficient les contrats collectifs d’entreprise, peut générer la multiplication par 3,5 du coût de leur contrat santé pour des garanties comparables.

Quant à la couverture santé d’une personne en situation de chômage de longue durée, à garanties égales, le coût est en moyenne 2,4 fois supérieures à celui d’un salarié.

*La fiscalité des contrats santé est passée de 3,5% en 2008 à 15% depuis 2014 passant de 13 € à 76€ par contrat et par an !

Pourquoi ces dispositifs sont une vraie fausse bonne idée pour aider les plus fragiles de nos concitoyens à accéder à une santé de tous.

Aujourd’hui, les salariés et leur famille bénéficient – via les contrats collectifs d’entreprise – d’aides fiscales et sociales qui atteignent 3,5 milliards d’euros, alors que les chômeurs de longue durée, jeunes précaires et retraités n’ont droit à aucune aide de ce type.

Pour les retraités anciennement salariés, la perte du co-financement de leurs cotisations par leur employeur et des aides fiscales et sociales dont  bénéficient les contrats collectifs d’entreprise, peut générer la multiplication par 3,5 du coût de leur contrat santé – qui passe de 283 à 998 euros par an, en moyenne, pour des garanties comparables.

Pour un chômeur de longue durée, le coût d’une même couverture est, en moyenne, 2,4 fois supérieures à celle d’un salarié, soit 665 euros.

Ces dispositifs ne produisent que plus d’injustice sociale. Ils  créent non seulement des segmentations au niveau de la population : jeunes, salariés, retraités… mais les nouvelles mesures, si elles sont mises en place généreront de nouvelles segmentations au sein même de ces populations. Si le PLFSS 2016 est voté en l’état, les nouveaux retraités seront traités différemment des plus anciens…. On est loin de la promesse de généralisation de la complémentaire santé pour tous que François Hollande avait faite lors du Congrès de la Mutualité Française en 2012 !

Un projet d’appel d’offres pour les contrats santé des plus de 65 ans qui produira l’inverse de l’effet escompté.

La Mutualité Française et ses Mutuelles ont l’expérience des appels d’offre dans le cadre de l’ACS. Quelles que soient les bonnes intentions initiales, la procédure elle-même favorise une focalisation exclusive sur les prix au détriment des garanties.

De plus, le cadre imposé par les pouvoirs publics prive les bénéficiaires de toute liberté de choix de leur mutuelle comme de leur couverture. Les mutuelles en ont eu l’expérience avec les contrats responsables et solidaires ou les appels d’offre ACS. Est-ce parce qu’on est en difficulté économique ou retraité qu’on doit être traité comme un incapable social, inapte à savoir ce qui est bon pour soi ou pour sa famille ?

En outre, cette procédure de mise en concurrence fragilisera l’ensemble des familles de complémentaires santé dont les marges ont été affaiblies par l’ANI et ce sur un marché d’ores et déjà très concurrentiel. Les impacts économiques et en termes d’emplois (85 000 répartis sur l’ensemble du territoire) de cette mesure sont préoccupants pour l’ensemble des mutuelles quelle que soit leur taille. Ces impacts seront lourds de conséquences pour notre système de protection sociale en raison du caractère régulateur qu’a toujours assumé le mouvement mutualiste en complément de la sécurité sociale. La France dispose d’acteurs non lucratifs que sont les Mutuelles qui jouent un rôle majeur et sont les garanties de la prise en compte de l’intérêt des Français et de leur santé.

La segmentation est une technique assurantielle antinomique de la mutualisation. Quand on casse les solidarités se sont toujours les plus âgés et les moins bien portants ou les plus en difficultés économiques qui finissent par en faire les frais. Lors de son audition auprès de la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale, la Ministre de la santé a insisté pour que le prix ne soit pas le seul critère retenu pour cet appel d’offre.. Sera-t-elle entendue ?  La Mutualité restera vigilante sur ce point !

Les propositions de la Mutualité Française : La Mutualité souhaite à une «vraie» complémentaire santé pour tous.

Pour cela, elle appelle demande à une remise à plat de tous les dispositifs existants et le retrait de l’article 21 du PLFSS 2016. Car au final ce sont des sommes considérables qui sont mobilisées pour financer tous ces dispositifs hétéroclites.

Pourtant sans ajouter un euro, ces moyens suffiraient à financer à la fois la suppression de toutes les taxes (-15% sur toutes les cotisations) et un dispositif unique d’aide personnelle à la santé sur le modèle de l’APL qui garantirait vraiment l’accès de tous à une mutuelle. Elle pourrait prendre la forme d’un crédit d’impôt.

Depuis l’annonce du PLFSS 2016 et la mobilisation de tous les acteurs contre cette mesure, la Ministre de la santé a commandé au directeur de l’IGAS un rapport pour évaluer l’efficacité de ces différentes mesures. La Mutualité attend avec impatience les conclusions de ce rapport.

La Mutualité souhaite aussi :

  • La suppression des taxes sur les contrats santé ( -15%) qui serait un véritable levier pour l’accès à la complémentaire santé
  • Une véritable concertation des acteurs du secteur avant toute prise de décision.

[1] Sources : rapport annuel 2013 du HCAAM, Comptes nationaux de la santé.

Télécharger le dossier de presse au format PDF :

Les CHIFFRES CLÉS

51%. C’est la part des frais de soins courants pris en charge par l’Assurance maladie, l’autre moitié étant financée par les complémentaires et les ménages.

 

89%. C’est la part de Français qui jugent que la complémentaire santé est une nécessité (1).

3,3 millions. C’est le nombre de personnes qui ont renoncé à une complémentaire santé en 2012, soit 500 000 de plus qu’en 2010.

29 %[1]. C’est la part des personnes ayant renoncé à des soins – essentiellement pour des raisons financières.

En l’absence de complémentaire santé, le renoncement est deux fois plus élevé.

76 euros. C’est le poids moyen des taxes pesant sur un contrat de complémentaire santé en 2012, soit un montant six fois plus élevé qu’en 2008 (13 euros).

85 000. C’est le nombre de salariés travaillant dans 426 mutuelles. Cela représente 6 % de l’emploi du secteur de l’économie sociale et solidaire.

12 millions, c’est le nombre de personnes de plus de 65 ans en France.

[1]Source : étude Cecop/CSA menée pour la Mutualité Française en mai 2015