Smartphones, tablettes, ordinateurs, enceintes, consoles de jeux, téléviseurs et imprimantes connectés : le numérique fait désormais partie intégrante de notre quotidien et à l’heure des réseaux et de la dématérialisation on n’imagine plus vivre sans ces appareils qui en savent beaucoup (beaucoup trop ?) sur nous. Pourtant, loin d’être la solution miracle, le numérique engendre une nouvelle forme de pollution plus insidieuse, méconnue mais tout aussi réelle que celle du trafic routier.
La croissance du numérique
l’ère du numérique
Chaque année, 1,5 milliard[1] de smartphones sont vendus dans le monde. En 2016, la moitié des habitants de la planète était des utilisateurs d’internet. Depuis, selon Alternatives Economiques, n°397, Janvier 2020, 1 milliard d’Indiens et 755 millions de Chinois nous ont rejoints sur la toile. Autant dire que ça fait du monde ! Une croissance exponentielle du numérique qui se justifie, certes, par l’arrivée de ces nouveaux utilisateurs mais qui s’explique également par une augmentation du nombre moyen d’objets connectés par personne. S’il était de 5 objets connectés par personne en Europe de l’Ouest en 2016, on estime qu’il pourrait s’élever entre 9 et 13 d’ici 2 ans.
Le marketing numérique
D’après le reportage de France 2 « Santé : nous passons deux heures de plus devant nos écrans qu’il y a dix ans », nous passons aujourd’hui plus de 5h par jour sur les écrans. Comment expliquer un tel phénomène ? La commercialisation des objets connectés avec la sortie du premier Iphone en 2007 a bien sûr fortement contribué à prolonger le temps passé sur les écrans. Parallèlement à cela, les géants du numérique, qui se rémunèrent quasi exclusivement par l’utilisation de publicités entre deux vidéos, ont su déployer des stratégies de marketing pour nous inciter à consommer toujours plus de vidéos. Fonction auto-play, recommandations de contenus similaires, notifications régulières… la vidéo représente aujourd’hui à elle seule 75% du trafic mondial sur Internet. En apparence ludique et inoffensive, la consommation de vidéos engendre cependant une importante pollution…
[1] Cet article s’appuie essentiellement sur les données du dossier « Pollution : la face cachée du numérique », Alternatives Economiques, n° 397, Janvier, 2020.
L'empreinte environnementale du numérique
La chaîne du numérique
la consommation
Si la pollution numérique est aussi insidieuse c’est en partie parce que son infrastructure physique reste « cachée » et que les utilisateurs n’ont pas conscience que leurs actions, aussi anodines soient-elles, comme celle de regarder une vidéo depuis son smartphone ou son ordinateur, ont un réel impact sur l’environnement. Aujourd’hui, le numérique représente 10% de la consommation électrique mondiale et les vidéos en ligne sont quant à elles seules responsables d’1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit une part d’émissions de gaz à effet de serre équivalente à celle de l’Espagne !
La fabrication
En amont de la diffusion, il y a la question de la fabrication de ces objets connectés qui en plus d’être coûteuse est très polluante. La fabrication de smartphones, tablettes et autres gadgets requiert en effet l’utilisation de métaux précieux, rares et polluants tels que l’indium, le lanthane, le bore ou encore le mercure dont l’extraction demande beaucoup d’argent, d’eau et de produits chimiques qui finissent souvent dans la nature et polluent les sols et les nappes phréatiques.
Le stockage
Après la question de la fabrication et de la diffusion arrive celle du stockage des données, les fameux data center entreposés dans d’immenses hangars et qui sont sous tension électrique constante. Ils consomment de l’électricité pour leur fonctionnement et produisent énormément de chaleur, une surchauffe qui demande de les refroidir constamment par l’utilisation de gros climatiseurs. 55% de la facture énergétique du numérique provient de leur utilisation ! De la fabrication au stockage c’est tout une chaîne du numérique qui est à revoir…
Le phénomène d’ « obésiciel »
Le phénomène « obésiciel » (contraction des termes « obésité » et « logiciel ») contribue également à la croissance de l’empreinte environnementale du numérique. Il est une des conséquences du renouvellement rapide des équipements numériques. En effet, les fabricants se lancent dans une course effrénée à la performance pour proposer chaque année, ou presque, un nouveau modèle de smartphone avec toujours plus de nouvelles fonctionnalités et une empreinte carbone toujours plus élevée (en 7 ans l’empreinte carbone du Iphone a doublé !). Seul problème les services numériques sont de plus en plus lourds et les équipements, comme le note Liliane Dedryver dans l’interview qu’elle accorde au magazine Alternatives Economiques, ont du mal à le supporter et tournent au ralenti. Ce phénomène d’ « obésiciel » contribue d’une certaine manière à l’obsolescence programmée (celle-ci est d’ailleurs considérée comme un délit depuis 2015) car les consommateurs préfèrent racheter un nouveau téléphone plutôt que d’engager des frais de réparation.
Vers une écologie numérique ?
Réduire la production
Pour l’économiste Eric Vidalenc qui accorde un entretien au magazine Alternatives Economiques, n°397, Janvier 2020, il faut imposer des limites au numérique et cela passe en premier lieu par une réduction inévitable de la production. Rallonger la durée de vie des terminaux (smartphones, ordinateurs…) mais aussi sortir de la démesure. Comme le rappelle Eric Vidalenc, si l’on divise [la vidéo] par trois ou quatre le débit des données, la différence de qualité est à peine perceptible pour l’utilisateur mais l’énergie mobilisée est bien moindre en revanche. Pour l’économiste et conseiller il est nécessaire de « dépasser les bonnes intentions » et « d’instaurer des normes ». Eric Vidalenc propose ainsi d’appliquer les mêmes sanctions concernant l’empreinte carbone qui est déjà appliquée aux constructeurs automobiles aux fabricants d’appareils numériques : « La moyenne de l’empreinte carbone des smartphones ne devrait pas dépasser tant de grammes de CO2… » Mais l’auteur du livre Pour une écologie numérique va plus loin et suggère que les fabricants devraient garantir « une réparabilité de leurs appareils pendant au moins cinq ans » et « incorporer jusqu’à 50% de produits recyclés dans la composition de leurs matériels ».
Le recyclage des appareils
Le recyclage est en effet un des autres enjeux majeurs de la transition énergétique. Les filières de retraitement n’absorbent que 10% des déchets d’équipements électriques et électroniques au niveau mondial. Cela s’explique en partie par le fait que le recyclage des appareils n’est pas systémique. En effet, beaucoup d’appareils sont collectés mais collectés ne signifie pas recyclés. Moins de la moitié des smartphones (49%) sont recyclés en France contre la quasi-totalité des ordinateurs (95%). Au niveau mondial, les chiffres baissent encore car seulement 20% des équipements numériques sont recyclés…
L’optimisation du numérique
Un des premiers leviers et peut-être le plus simple à mettre en place pour les fabricants afin de réduire l’empreinte environnementale du numérique consiste à alléger les logiciels des appareils numériques. Frédéric Bordage, animateur de la communauté Green It revient notamment sur les mises à jour abusives :« La loi devrait imposer une distinction entre mises à jour correctives, nécessaires car elles viennent corriger des failles de sécurité dans les logiciels, et mises à jour évolutives, superflues, qui ajoutent de nouvelles fonctionnalités dont on n’a souvent pas besoin ». Il prend d’ailleurs à titre d’exemple le moteur de recherche Qwant qui a développé une version allégée pour les appareils qui commencent à s’essouffler.
En conclusion
En conclusion, le numérique d’aujourd’hui n’est plus compatible avec le monde de demain. La fabrication, le stockage et la diffusion numériques sont responsables d’une pollution qui n’a rien de virtuelle et qui a au contraire de réels impacts sur l’environnement. La sobriété numérique est un état d’esprit et demande en conséquence l’implication de chacun par des gestes simples comme par exemple ne pas regarder une vidéo en haute définition ou trier ses photos avant de les mettre sur le cloud. D’autres solutions plus générales apparaissent avec le recyclage et l’optimisation des appareils pour mettre le numérique au service de la transition écologique et construire un monde plus respectueux de l’homme et de l’environnement.